Chienne de vie
Qui croirait cela? Un ordinateur défaille et c'est toute sa vie qui dérape. Elle ne retrouve plus les clés qui lui ouvrent l’accès au monde. "Je suis aveugle" dit-elle. Elle cherche. Un mur d'incommunicabilité s'élève autour d’elle. Elle lance ses pauvres mots apeurés dans l'écouteur téléphonique. Au bout du fil, la voix d'un technicien l'oriente de procédure en procédure, butant contre les obstacles d'une machine rétive. Il efface tout le travail qu'elle accomplit péniblemment. Recommence. Efface. Pendant deux jours. La voix change: celle d'une femme, celle d'un homme. Se nuance d'impatience, d'impertinence. De persévérance, de savoir-faire. Perplexité. Elle n'en peut plus. Ses mains tremblent sur les touches directionnelles: la flèche l'égare dans un dédale d'erreurs. Sa voix égrène des mots fripés. Elle vacille sur le bleu de la brisure. Le technicien repère l'erreur. Il s'est trompé de fichier. Tout va vite à présent. Les données abondent, comme une pluie printanière sur la terre durcie par l'hiver. L'ordinateur ronronne, heureux. Elle découvre l'éventail de ses possibilités. Une à une, elle réintègre ses chères habitudes. Le surf sur le net. L'accès à ses données financières. Lire le courrier. Se remettre à l'écriture.
La pluie tombe sur son pare-brise. Elle la regarde. Les gouttes ne glissent pas. Elles se fixent sur le verre, comme des perles de lumière. Transfigurent la matière transparente en une multitude de galaxies. C'est beau! Comme une réconciliation avec l'univers entier. Son coeur chagrin prit les couleurs de l'arc-en-ciel. D'un revers de main, elle efface sur son visage, le chemin de l'amertume. Ses lèvres esquissent un léger sourire d'apaisement. "Allons!" se dit-elle. Et le moteur de sa voiture vrombit
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